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7 juillet 2019 7 07 /07 /juillet /2019 12:03
Une nuit dont je me souviendrai.

Sa silhouette fragile sur le quai s’éloigne. Combien de fois l’ai-je quittée ainsi en l’abandonnant sur un ponton, un quai de gare ou un hall d’aéroport ?

Un long moment de solitude commence. Je quitte Mortagne sur Gironde pour La Rochelle où un ami la conduira en voiture. Elle pourra y loger sur son bateau car la nuit sera longue.

Une navigation d’une quinzaine d’heures m’attend.

 

Le ciel est gris, la température est agréable et le moteur tourne rond. Je n’ai pas allumé les instruments. Le coefficient des marées est faible aujourd’hui. Je connais bien le chenal de Mortagne. En restant en son centre, on ne risque pas de toucher. C’est à la sortie qu’il est important de viser les bouées pour être sûr de l’alignement et éviter les bancs de vase qui s’étendent aux extrémités des rives du chenal.

Enfin voilà la Gironde, dès la dernière bouée dont je me méfie à cause des courants je descends allumer les instruments. Sur l’écran du GPS apparaissent mes trajets précédents. Je choisis mon premier waypoint au nord de Royan sur le chenal emprunté par les navires.

 

Il me faudra cinq heures pour atteindre l’océan et pourtant je choisis la route la plus courte en prenant des tangentes au chenal qui se faufile entre les bancs de sable de Cordouan et la côte. C’est là que je rejoins la route pour l’île d’Yeu que j’avais prise au mois de mai. Je me souviens de ces passages hors du chenal où les fonds variables inquiètent quand le profondimètre remonte rapidement. Je l’avais fait à marée montante en rentrant dans la Gironde. Dans ce cas quand on touche le sable c’est moins grave. Sans ma trace précédente, je ne l’aurais jamais fait à marée descendante. N’empêche, l’adrénaline est toujours là. Le pire, c’est la tentation de quitter le chenal trop tôt pour le nord. Les bancs de sable de la Mauvaise s’étendent sur des kilomètres en mer. Ca secoue toujours à la sortie de la Gironde mais cette fois les vagues du large sont arrivées en cascade ne laissant jamais le temps au Sherrycan de se redresser avant de le renvoyer sur la tranche. Il est important de bien garder ses appuis et si possible d’anticiper les ruades de l’océan.

Entretemps un brouillard s’est installé au point que jamais je n’ai vu la lumière du phare de la Coubre qui porte pourtant à 28 miles nautiques, soit 50 kilomètres..

 

Enfin la mer s’est calmée et j’ai pu mettre mon waypoint suivant à 20 miles au nord, là où je me rapproche de la côte avant Chassiron, la pointe nord de l’île d’Oléron pleine de cailloux.

 

Cela me laisse cinq heures de repos obligé car de toute façon on ne voit rien dans ce brouillard qui dans les phares ressemble à une multitude de perles d’eau suspendues dans la nuit. Attendre, attendre et surveiller l’écran du GPS où je peux voir les navires équipés de l’AIS. Ce sont des pêcheurs peu nombreux. J’ai éclairé mon bateau comme un arbre de noël en espérant qu’ils me voient. Je reçois l’AIS mais je ne l’émets pas. Je vois les autres mais ils ne me voient pas. Je me jure de l’installer dès mon arrivée à La Rochelle !

 

Deux fois j’ai vu un pêcheur non signalé sur mon écran. Ils coupent leur appareil pour ne pas être repérés. Je n’ai jamais vu le phare de Chassiron bien sûr et j’ai contourné Antioche, ce tas de cailloux entre l’île d’Oléron et celle de Ré sans le voir.

Et maintenant cap sur La Rochelle. Il me reste une bonne dizaine de miles, les plus dangereuses. Les cargos au mouillage sont normalement plus au sud de ma route mais il me faut traverser leur route vers le port de la Palice. Je me dis qu’ils attendent le jour avant de se déplacer. Ce qui me fait le plus peur, ce sont les plaisanciers, et encore. Ceux qui pourraient venir à ma rencontre sortiraient du Pertuis pour partir en haute mer. Il n’y en a pas beaucoup des fous comme moi !

Mon arrivée à La Rochelle est prévue pour six heures du matin. Au moins il fera jour.

Quand la lumière a éclairé le brouillard, j’ai vu la mer plate. Elle était grise et dormante.

La première chose que j’ai vue, c’est un grand aileron et puis plein d’autres dans son alignement. Un troupeau de cachalots me faisaient l’accueil dans la rade de La Rochelle. Leur respiration bruyante me faisait chaud au cœur. Longtemps je les ai vus à gauche, devant, à droite. J’étais encerclé.

Un signal AIS m’a sorti de mon rêve. Un navire venait à ma rencontre sortant du port. Je lui envoyai mon phare dans les yeux et nous nous sommes croisés et salués. Après quinze heures de solitude je rejoignais le monde des civilisés. J’avançais lentement pour découvrir une à une les bouées avec une visibilité de dix mètres. Le brouillard se levait doucement pendant que la marée descendait. Je ne pouvais pas accélérer mon allure à cause de la visibilité malgré la marée descendante qui pourrait me coincer sur le sable si je traînais trop. J’ai vu finalement les deux tours. Deux ans que je ne les avais plus vues.

 

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commentaires

E
Oh, dis, tu en vis des aventures, certains vieux loups de mer sont incorrigibles... Et que pense Madame, à t'attendre ainsi. Quel stress aussi pour elle...
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J
En effet, je suis incorrigible!